Comment relier une passion à une autre ? Comment ne pas rester enfermé dans un monde déjà très étroit ? En s’ouvrant et en l’ouvrant avec et sur les plaisirs de lire et d’écrire… Livrer des expériences peu banales, du vécu qui vous a transcendé ou qui vous a fait vous épanouir ! Histoires vraies que vous pensez pouvoir ou devoir transmettre aux autres. Sans qu’ils le prennent pour vanité de votre part. Pour la valeur et le plaisir que ces souvenirs vous ont offerts, à la manière d’un récit ou d’une histoire à peine romancée : ce que vous donnerez, l’autre le dévorera. Lorsque des moments, des idées vous ont touché, vous ont mis en appétit et vous ont offert une grande passion, il faut les partager avec ceux que l’on aime, pour qu’ils tentent à leur tour de les vivre, chacun à leur façon… Certaines histoires parleront d’amour ou de chagrin, d’œnologie ou de négritude. Tous les sujets abordés avec naturel et humilité sont bons pour transmettre connaissances et/ou ressentis. Tous les sujets exposés sont bons à être reçus, lus, explorés voire revécus…
Chez moi, le vin est un peu comme la vendetta chez les italiens ou la psychanalyse chez les juifs. Autant un cliché qu’une seconde nature. En revanche, il ne faut pas que cette dernière nous dévore. Car elle peut nous mettre dans état second qui finira par devenir notre quotidien. Notre état premier. Attention, l’abus…
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Vous souvenez-vous de Love story : « Elle aimait Mozart et Bach. Et les Beatles… Et moi. »
Quant à moi, « J’aime Michel Legrand, Michel Petrucciani et le poker. Et les grands vins. »
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Des sujets très différents, mais oh combien intéressants. Moins poignants pour certains, plus pointus pour d’autres, le sujet que j’effleure ce jour, livre un tout petit peu de ma vie de jeune homme, avec une sincérité inégalée sur ce blog habituellement en relance permanente, en check-raise ou bluff au sizing toujours démesuré. Je suis un jouisseur, un épicurien avant tout. A 20 ans, deux personnes tout à fait aptes à me juger, avaient déjà lâché la sentence. Ni plus ni moins qu’un fait, avec lequel je devrai vivre, et composer… avec mon intelligence, qui elle même, devra s’adapter à ce paramètre.
15 mai 69, j’ai 15 ans. C’est en semaine, je m’en souviens, mais ce soir-là, le diner revêt un caractère un peu officiel. Je passerai sur les détails, mais après diner, mon père doit prononcer un discours, après lequel nos 2 hôtes bretons (MM Poher et Pleven)* poseront la touche finale à une campagne présidentielle qui verra l’élection du cacique Pompidou. Toujours est-il qu’à la fin du repas, j’ai eu le droit de goûter ce nectar, ce Mission Haut Brion d’un millésime pourtant pauvre (1958 et non 57 comme sur la photo). Une demi tulipe au fromage… Découverte, délectation, révélation ? A partir de ce jour et aussi souvent que possible, j’accompagnai mon père à l’Elysée ou au Sénat, à l’occasion de déjeuners ou de diners simples. Uniquement pour y goûter un fond de vin et récupérer les menus dorés à l’or fin !
* Comme dirait un ami facétieux 3ème degré, (qui se reconnaîtra), néanmoins directeur dans une très grande room, ça ne fait pas prétentieux de parler d’eux, personne ne les connait… Même en seconde année de Sciences Po.
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Jeune homme, lycéen presque normal, j’avais 100 F (10 000 balles) d’argent de poche par semaine et je décidais de constituer ma cave, au sein de celle de mon père, voûtée et parfaite en tous points (obscurité, taux d’hygrométrie à 70%, absence d’odeurs parasites et de vibrations, ventilation correcte). J’écrémais donc tous les Nicolas du Val de Marne, pour acquérir, petit à petit, tous les Marquis de Terme 1967, (sur lequel j’avais jeté mon dévolu), vendus à l’époque 21F. Horreur, je m’aperçus vite que de Champigny à Nogent, le Perreux ou La Varenne, ces bouteilles ne m’attendaient pas et se faisaient rares… J’en ai eu une petite douzaine, de mémoire. Donc je me suis rabattu sur une autre valeur sûre, le château Calon Ségur 66. Superbe millésime. Je suis tombé par hasard sur un Nicolas (au Perreux) qui connaissait parfaitement ce vin, et le proposait à un excellent rapport qualité-prix, pour l’époque : 34 F. Le plus septentrional des Haut Médoc, presque un Médoc, par conséquent. Presque un vin de sable… J’en ai eu 11…
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Puis les millésimes exceptionnels m’ont naturellement attiré, mais j’attendis patiemment mes 20 ans, 1974, pour en commander une caisse. Rapport qualité-prix obligeait, ce ne fut pas du Petrus. Mais un excellent 5ème Grand Cru Classé. Qui valait les quelques 90F/u, exigés par Schröeder et Schiller… Ma cave prenait consistance. D’autant que mon père n’était pas avare de quelques flacons exceptionnels, offerts en sus à l’occasion d’anniversaires… (d’Yquem, Margaux, Mouton…).
Amusant de se souvenir de ces jours anciens, comme si c’était hier. J’étais au Lycée H.IV, le 15 mai 1974. (Corniche Leclerc de Hauteclocque pour les curieux). Mes parents m’avaient demandé de choisir, pour mes 20 ans, soit de réunir mes amis et camarades au PD (Le Pavillon Dauphine) soit de diner à la maison, (à nouveau en période de campagne électorale). Avec toujours le « même Président« comme disait Michel Delpech dans Inventaire 66… et autres barons de la V°.
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Mais cette fois, j’aurais le choix du menu et des vins. Cave ouverte et en plus, l’autorisation d’amener mon meilleur ami à ce repas officiel. J’avais déjà à l’époque, une piètre opinion des copains et copines. Je choisis donc le diner avec mon pote d’enfance, ami œnophile et partenaire de poker fermé. Je ne me souviens pas des millésimes ni du menu (sauf le foie gras), mais je sais qu’au d’Yquem succédèrent Cheval Blanc et Ausone, seule façon de comparer, voire départager ces 2 géants, à millésime égal. Je « délaissais » le Petrus au fromage. Je pensais déjà qu’un Porto de 40 ans d’âge, serait mieux adapté pour égayer les Bleus, Fourmes et autres Roquefort choisis. A noter que le Champagne n’étant pas l’un de mes vins préférés, l’apéritif se fit à la Cuvée René Lalou, le Champagne de prédilection de mon père.
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J’ai donc réussi à me constituer une cave de quelques 250 bouteilles, très bordelaises. J’ai fait mon périple bordelais en 74 également, tout juillet. Pour ne visiter en un mois que le Haut Médoc. Hé oui, les Graves, St Emilion et Pomerol ont demandé plus de temps. La Bourgogne et les Côtes du Rhône aussi… Plus tard. Donc cet été 74, beaucoup de souvenirs. M. Charmolüe et son Château Montrose, les repas dans les jardins du château Latour, avec les ouvriers et contre-maîtres des lieux. Quand je dis repas, c’était surtout grillades aux sarments de vignes et Forts de Latour à gogo, les vrais à l’époque… Sans étiquette. Et puis, le vin de pharmacien, comme on appelait à Ludon, le Château La Lagune… Enfin, une dérogation pour aller à St Emilion, pour une visite chez M. Dubois-Chalon et ses enfants, les Vauthier… A Ausone. Plus une visite des caves privées et familiales… Millésimes complets (ou presque) jusqu’à 1789. Avec magnums et double magnums essentiellement !
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Les souvenirs s’entremêlent, jusqu’à 1979, où je découvre à Meaux, l’hôtel de la Syrène (Maison Doucineau). Diner un vendredi soir, carte des vins, que vois-je : Richeboug du Domaine Leroy (DRC) millésime 1969. 700F… Cadeau ! J’en commandais une, et très vite le patron vint me prévenir, comme il se doit : « Attention, c’est la dernière, donc si vous comptiez poursuivre ….En revanche, il me reste 9 La Tâche du Domaine, dans le même millésime… ». « Pute borgne » soliloqué-je in petto, gardant la poker face qui s’impose : je fais une moue de circonstance et lui demande : « Au même prix ? ». Et lui d’opiner du chef (ce qu’il était aussi). « Je passe un deal, je vous prends les 9 à 700F et je viendrai chaque vendredi soir, jusqu’à « extinction » de la famille Leroy ! » Cochon qui s’en dédie. Nous sommes restés clients bien des années après ce deal. Jusqu’à la fermeture de cette excellente maison. Jusqu’à voir tourner, quelques années plus tard, Henri Verneuil et Patrick Dewaere en ces lieux. Pour 1000 milliards de dollars. De ce vin, je n’ai que des bons souvenirs. Mes amis du moment aussi ! Ce fut un moment, des moments inoubliables : car en plus du nectar, l’idée d’avoir fait une bonne affaire décuplait mes papilles gustatives à leur paroxysme.
Mes « amis » vont me traiter de vantard. Mes ennemis diront que je suis ivre. Je ne vais pas renier mon derrière pour un pet. Alors puisque je blogue, moi aussi je parle de ces moments que j’ai aimés, de ce que je ne revivrai sans doute jamais et de ce que plus jamais, sauf miracle, je ne pourrai m’offrir. Même avec modération.
Pour les amateurs de football, l’appellation Romanée-Conti fut l’objet d’une forte attention médiatique en 2002 lorsque le président d’alors de la FFF, Claude Simonet, passa en note de frais une bouteille de ce vin facturée à 4 800 € dans un restaurant coréen, au moment de la débâcle de l’équipe de France lors de la coupe du monde de 2002.
A suivre, peut être… Un jour ?
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7 commentaires
Par brduke
le 21 février 2014
Alors là… touché ! Bel article qui m’a fait remonter le temps aussi !
Quelle belle passion, l’oenologie 😉
Et je présume que la cave avait une température constante de 12°…
Tu en as bu de bons, de très grands ! Je ne vais pas parler de tous ceux que tu as cités, sinon je vais te noircir 50 pages, mais simplement du superbe Calon Ségur 66, qui m’a marqué à vie, l’ayant dégusté à l’occasion d’un repas entre amis dans la plus vieille auberge de France (1345), au début des années 80. J’y suis retourné peu après pour mon anniversaire, et j’ai pu goûter pour la 1ère fois le R-Conti. Exceptionnel : le vin bien sûr, le millésime (année de ma naissance) et le prix (1200F, « donné »).
On n’oublie jamais ces grands moments gastronomiques !
« Ceux qui s’indigèrent ou qui s’enivrent ne savent ni boire ni manger. »
(Brillat-Savarin)
Par Janluk
le 22 février 2014
Non d’un petit bonhomme ! il aura fallu attendre 2 ans, 3 guerres des blogs et une insurrection pour que tu sois touché !
La prochaine fois, tu seras touché-coulé… à ton grand plaisir j’imagine ?
Coulé dans une bordelaise de Branaire-Ducru ! St Julien-Bruno Duke, priez pour lui !
😉
Par brduke
le 23 février 2014
Ah le Branaire… J’ai eu l’occasion de faire de belles horizontales avec Christian Millau (du Jury des Vins Gault et M.), notamment en 1984 des GCC de 79. Branaire en fut sorti 1er, devant Mouton (trop fermé).
Mérite mieux que 4ème.
Par brduke
le 29 juin 2017
Toujours un réel plaisir à relire !!!
Par Janluk
le 29 juin 2017
Merci ! idem que CC Rdv en septembre ? Les Chambolle « derrière la grange » ne poussent pas dans les champs de Picardie 😉
Par Christian OnTheRoad
le 29 juin 2017
Huuummm cet article !!!
Comme une envie de me trouver en ce moment au bar panoramique de la tour Concorde,assis avec une belle demoiselle orientale aux yeux amandes et cheveux longs ondulés, écouter son doux accent me dire qu’elle s’appelle ilham et qu’elle adore la vie, un fond musical qui nous accompagne dans la contemplation des lumières de Paris la nuit tout en dégustant au fur et à mesure de cette belle soirée la carte des vins jusqu’à nous enivrer …
Il y a des moments de vie que les véritables épicuriens n’oublient jamais de la vie, ces moments partagés ou non avec des personnes intimes ou des illustres inconnues donnent à la vie une saveur particulière associée à des bruits, des odeurs, des couleurs, des saveurs, quelques notes d’une musique qui battent au rythme de notre coeur et nous accompagnent jusqu’au tout dernier instant, jusqu’au dernier souffle de vie …
Janluk, je passe souvent sur la region parisienne, et ce qui me ferait vraiment plaisir mon ami, ce serait que très prochainement on en profite pour déguster ensemble un moment de vie, un repas et quelques bons breuvages, des histoires, des rires et quelques bonnes pensées …
Alors, quand tu veux l’ami 🍷😉
Par Janluk
le 29 juin 2017
cela se fera. Sois en sûr !dès septembre. JL