Je ne voulais pas en parler, mais ma fille m’a dit :

« Avoir eu la chance de côtoyer des hommes illustres qui ont fait l’histoire et ne pas en dire un mot serait comme déchirer un livre rare, un témoignage unique. Même pour quelques mots ! »

 

Château d’Ormesson. Ormesson, Val de Marne.

 

Je n’étais pas un habitué des lieux. Ne croyez pas cela.

Je n’y suis « monté » que deux fois, avec mon père, de La Varenne St Hilaire. Une fois en 69 l’autre fois en 74. Cette demeure, le château d’Ormesson, était belle. Meublée et décorée comme un gosse de 15 ou 20 ans s’y attend. J’avais, pour ma seconde visite, peaufiné mon histoire sur le Comte Wladimir d’Ormesson, né à Saint Petersbourg. Au cas ou l’on daignerait me parler voire m’interroger !

 

Rien de tel. D’ailleurs, (l’avais-je ou non appris ?) Monsieur le Compte était décédé il y a quelques mois ! Wladimir Lefèvre d’Ormesson n’officiait plus au Vatican depuis belle lurette… Et celui que les moqueurs de droite et de gauche dénommaient à l’instar de Léon Daudet, le « degré zéro », d’où son expression* : « il fait dix degrés au-dessous (ou au-dessus) de Wladimir d’Endormesson » »… Bref, cet ancien officier d’ordonnance du Maréchal Lyautey, a beaucoup appris de lui. Surtout au Maroc.

(Ci-contre, l’épée d’académicien de Wladimir d’Ormesson, réalisée par Cartier en 1957.)

Ci-dessous, explication du jeu de mot Léon Daudet

 

 

 

 

 

 

Olivier d’Ormesson

La dernière fois que j’y ai mis les pieds, j’avais 20 ans et je voulais revoir la tête de ce triste sire, j’entends par là Olivier Lefèvre d’Ormesson, le petit Comte comme mon père l’appelait. Orgueilleux, arrogant, fier de son nom, de sa richesse héritée et de ses mandats municipaux acquis comme un dû, par la naissance ! Nous étions arrivés vers 14 heures car mon père, Président d’un parti politique pour le Val de Marne, avait besoin de la signature de son vice-président, Olivier en l’occurrence !
Celui-ci était à table et ne fit pas mine d’en bouger, tendit sa main baguée à mon père sans m’adresser un regard ! Une conversation insipide que mon père ne voulut pas prolonger, ce nobliau n’ayant pas bougé ses fesses ! Le parfait goujat.

 

Armorial des Arts et Sciences, 2014. Sur le blason des Lefèvre d’Ormesson. Blason : D’azur, à 3 lis de jardin d’argent tigés et feuillés de sinople posés en pal.

 

 

 

Nous ne fûmes pas conviés à nous asseoir. Privilège de l’âge, (né en 18 et mon père en 26), Olivier ne se déplaçait pas pour signer des documents, il fallait que les petites gens montent au château ! 🙂 Comme au XIXème siècle. La-dessus, quelqu’un entra. Un homme de petite taille, aux yeux d’un bleu translucide, un peu comme Henri Fonda qui venait de tourner « Il était une fois dans l’ouest ». Ce Monsieur nous dit, de sa voix fluette :
« Bonjour et pardonnez-moi, je ne savais pas mon cousin était occupé à déjeuner. Et à recevoir… En même temps ! » … ajouta-t-il d’un air espiègle.
Je compris instantanément que les relations nobiliaires, fussent-elles parentes au premier degré, n’étaient pas au beau fixe. Cette réflexion anodine détermina d’entré de jeu le fossé existant entre deux personnes, l’une vivant par son titre, le second grâce à sa tête, ses œuvres, son génie… J’esquissais un léger sourire et ce Monsieur me dit à voix basse, pendant que son cousin et mon père parlaient et signaient des documents sans doute très importants pour le devenir de la Nation 😉

 

Jean d’Ormesson, académicien.

 

 

« Voyez-vous jeune homme, nous n’avons rien à faire à cette table encombrée de victuailles et de documents, car à cette heure-ci nous avons déjà déjeuné et nous ne comprendrions rien aux affaires de la République. »
Olivier leva la tête, hargneux comme un dogue allemand* et nous scruta afin de voir s’il y avait sur nos visage, la moindre trace d’ironie. Je ne « mouftais pas d’une oreille » non plus que ce visiteur, qui semblait néanmoins très à l’aise en cette demeure… La-dessus, Olivier d’Ormesson baissa la tête et se hâta de finir de déposer sa noble signature, sur les documents du Centre Démocrate que lui tendait mon roturier de père. Le facétieux Monsieur aux yeux bleus continua à voix basse et me dit quelque chose que je n’ai jamais oublié, du genre, car malheureusement, la mémoire me fait défaut :
« Décidément, mon pauvre cousin sera toujours moins fort de la partie tête que de la parti-cule »
** C’est méchant pour le dogue 😉

 

 

 

Je me suis demandé jusqu’à monter dans notre voiture, préparée au perron, si j’avais bien compris ! Mon père riait aux éclats en entendant ces confidences. Ce bon mot peut être attribué à X personnes, a-t-il été repris ou inventé par l’académicien ? Nul ne le saura jamais, mais il me l’a passé, ce mot, en confidence. Comme un étudiant espiègle à un autre étudiant. Mon père m’expliqua tout par la suite, de la brouille entre l’intellectuel amateur de bons mots (et tout ce qu’on sait aujourd’hui sur Jean Lefèvre d’Ormesson) et Olivier, dont je ne dirai rien d’autre sinon qu’il est passé du CNI au CD et au FN

A noter que la mâle beauté de Jean d’Ormesson, s’est épanouie au fil des années. Jusqu’à en faire un extraordinaire noble et beau vieillard, quasi Immortel. Requiescat in pace †

 

Jean d’Ormesson au Festival du Livre de Nice, FRANCE – 08/06/2012/Credit:BEBERT BRUNO/SIPA/1206091601. « La vieillesse est un naufrage ». Chateaubriand. Je rectifie car trop de gens pensent que cette phrase, reprise par le général de Gaulle, est de lui.